Foins, Sactiers et Loups
Foins, sactiers et loups
Le 14 juillet 1841 les faneuses ne travaillent pas ! Elles ont commencé le 5, mais ce mercredi personne ! Aucun râteau, aucun faucheur. On pourrait penser qu’elles fêtent l’anniversaire de le « Fête de la fédération » ou de la « Prise de la Bastille ». Louis Philippe est roi, le drapeau tricolore flotte sur la France. Enfin bon ... il serait peut-être plus raisonnable de penser qu’il pleut. Le 14 juillet ne deviendra fête nationale qu’en 1880.
Les foins, c’est une période très importante. Quatre faucheurs parcourent les prairies en une ligne qui progresse face à la pente. Le soir ils seront hébergés à la cantine. Derrière les faucheurs, elles sont quelques dizaines qui avec râteaux et fourches vont œuvrer pour que ce foin sèche le plus vite possible et soit rentré dans les greniers. Elles ? Certaines faneuses s’appellent Louis, Pierre, Hyppolite ou Mathurin. En fait ces garçons ont douze, treize ou quatorze ans et avec leurs sœurs, leurs mères et quelques veuves ils sont chargés de constituer les réserves destinées aux vaches, aux bœufs et surtout aux chevaux. Une bonne récolte de foin c’est l’assurance d’un hiver tranquille.
De leur côté les sactiers et les voituriers ont cessé un moment de transporter le charbon, la « mine » ou le fer. Eux aussi fanent. Quand on possède 10 ou 20 chevaux il faut prévoir. Même si on cultive de la lande, qu’on va hacher, pour nourrir les chevaux, le foin est l’aliment le moins coûteux, il n’est pas question, sauf pour la forge, d’acheter de l’avoine. Garantir la nourriture d’hiver des chevaux, c’est la perspective de pouvoir travailler au printemps.
Mais l’ennemi principal des sactiers et des voituriers c’est le loup. S’il n’attaque pas l’homme il aime bien le mouton et le cheval. Des moutons il n’y en a pas autour de la forge mais les chevaux se comptent en dizaines, voir en centaines. Alors quand une meute attaque !
Le 1er décembre 1837, le régisseur Etienne Mario écrit au Comte de Janzé : « Les loups détruisent les chevaux des sactiers, ils en ont détruits près de 50 ce qui fait une perte de près de 4000 f, somme que l’on sera obligé d’avancer le printemps prochain. On ne peut prendre ces 3 ou 4 loups dans des pièges et je vais être obligé de demander des chiens à loup pour les chasser.»
La forge ne peut pas se passer des sactiers, les sactiers ont besoin de chevaux. Sur les comptes de la forge il y a toujours une page « dettes des sactiers ». La plupart d’entres eux apparaissent sur ces listes. La forge leur avance l’argent pour acheter des chevaux, pour acheter du foin et comme le dit le régisseur « pour que les mères puissent acheter des sabots aux enfants ».
Donc on chasse le loup, on le piège on l’empoisonne, mais si on paye une peau de loup 6 francs, peau qui risque de finir en tapis chez le régisseur, on paye 50 centimes la peau de taupe et Pierre Prunel, qui en prend des douzaines, semble préférer cette chasse bien moins dangereuse. D’autre part la peau de taupe fait de jolies tabatières.
Et puis parfois on ne touche même pas ses 6 francs. Ainsi le 1er mars 1852 le régisseur écrit : « Dupuis a pris un loup dans les pièges, il a mangé sa patte jusqu’à la cuisse et cassé toutes ses dents que Dupuis a dans un papier. C’est un loup de moins mais qui n’a pas profité aux tendeurs de pièges. Ils n’ont pas retrouvé le loup ». Alors si dans la brume, perdu dans la forêt de Quénécan, vous croisez le fantôme d’un loup qui boîte, ne craignez rien ! Il n’a plus de dents.
< Précédent | Suivant > |
---|